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Six

pieds

Sous

terre

Plongée au coeur des catacombes

22h49, porte d'Orléans. Cinq ombres se précipitent dans une rue jouxtant le tramway. Un homme encapuchonné et munis de jambières ouvre une trappe en métal sur le trottoir. Chacun est prié de s'y insérer rapidement. Une minute plus tard, le lourd couvercle se referme plongeant le petit groupe dans le noir. 

Nous voici dans l'une des nombreuses entrées des catacombes parisiennes. Elles sont plus ou moins secrètes, mais mes interlocuteurs m'interdisent d'en révéler la localisation exacte, de peur que les autorités la condamnent. Et pour cause, il est interdit de s'aventurer dans les galeries souterraines de Paris.  

 

Axel, Saskia et Tom sont des cataphiles. Ils ont entre 18 et 22 ans et descendent régulièrement depuis un an. Comme eux, des centaines d'explorateurs urbains s'aventurent dans les souterrains de la capitale.

"Comme je suis une fille, si je rentre à 4 heures du matin chez moi, je vais me fais emmerder. Dans les catacombes, je suis tranquille."

Cette pratique existe depuis des décennies, mais elle s'est particulièrement accrue depuis les années 80' et la sortie d'un livre, "la cité des cataphiles" de Barbara Glowczewski et Jean-François Matteudi, dont Jack Lang, alors ministre de la culture, avait assuré la promotion. Si les motivations divergent, l'endroit ne désemplit pas. 

"C'est quand même dingue de se retrouver dans les entrailles de l'une des villes les plus animées du monde !" lance Tom. Saskia acquiesce. "Comme je suis une fille, si je rentre à 4 heures du matin chez moi, je vais me fais emmerder dans la rue. Dans les catacombes, je suis tranquille. J'ai jamais eu de problème !" poursuit la lycéenne.

Pourtant, les catacombes sont loin d'être vides. Et il n'est pas rare de croiser de petits groupes au détour d'une galerie, repérables de loin grâce à la lumière des lampes frontales. 

20 mètres plus bas, 200 ans en arrière

Pour autant y-a-t-il un profil type du cataphile ? Non, selon Gilles Thomas, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. "J'ai croisé des pères de famille, des chefs d'entreprise, des jeunes passionnés d'histoire ou de simple curieux" énumère l'habitué des lieux. Pour Axel, ils auraient entre "15 et 65 ans environ". Au-delà, mieux vaut avoir une bonne condition physique. Les anciennes carrières de pierre datent de l'époque gallo-romaine et sont particulièrement escarpées. Étendues sur 770 hectares sous les 5e, 6e, 14e et 15e arrondissements de Paris, elles ont été creusées à partir du XIIIe siècle pour construire les édifices de la capitale et sa périphérie, jusqu'en 1813. Un service des carrières a même été crée pour consolider sous les voies publiques et faire la cartographie des souterrains. Car en plus d'être partiellement noyées, les galeries représentent un véritable labyrinthe. En 2011, trois jeunes se sont perdus dans les catacombes. Ce n'est qu'au bout de 48 heures et les recherches de 35 policiers qu'ils ont été retrouvés.

Les catacombes, elles, tiennent leur nom du transfert d'ossements qui a eu lieu en 1785, depuis le cimetière des innocents. Il n'est d'ailleurs pas rare de tomber sur un crâne ou un fémur. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Braver l'interdit

Aujourd'hui, seule une minuscule portion des catacombes demeure ouverte au public. Le 2 novembre 1955, un arrêté a interdit au public de descendre sous terre. Trop dangereux ? Rien à voir selon Gilles Thomas. "On était en pleine guerre d'Algérie, et on voulait empêcher les gens de se réunir sous terre, explique-t-il. C'est beaucoup plus dangereux de traverser une rue à Paris que de descendre dans les catacombes". Le Groupe d'Intervention et de Protection (GIP) de la police est chargé de traquer les Cataphiles. S'ils sont attrapés, ils sont raccompagnés à la surface et se voient notifier une contravention de 60 euros. Mais les cataphiles ne se laissent pas faire. Pour semer leurs poursuivants, ils lancent des fumigènes qui rendent la visibilité quasi nulle dans les galeries. Un vrai jeu du chat et de la souris. 

Dans le dédale des galeries longues de 350 kilomètres, Axel, Saskia et Tom avancent à un rythme soutenu. Les faisceaux des lampes frontales éclairent furtivement des tags sur les murs, des déchets au sol, ou des chatières creusées dans les murs. Certains cataphiles s'adonnent à relier les galeries entre-elles. D'autres préfèrent aménager des salles : Byzance, la plage, Z, cochon,... des noms improbables attribués par les cataphiles les plus anciens. Certains sont particulièrement connus, comme "Plongeur", par exemple. Un bon cataphile dispose toujours d'un pseudonyme.

 

Si chacun descend pour des raisons différentes, la majorité s'accorde pour rester discret. Beaucoup se méfient d'ailleurs de la presse. Le récent reportage de TF1 sur les catacombes n'y a rien arrangé. "C'était peut-être la pire chose qui puisse nous arriver maugrée Saskia. Finalement, plus les reportages sont nuls, plus on est contents." Les cataphiles préfèrent garder leur pratique secrète et cultivent largement l'entre-soi. Résultat, les parisiens développent les fantasmes les plus fous à propos des souterrains parisiens : cérémonies mystiques, rites nécrophiles, Axel n'a jamais rien de vu de tel. Il est surtout question d'échapper au perpétuel mouvement en surface. Mais l'actualité rattrape même dans les catacombes : "Vous avez entendu parlé de la prise d'otage Place d'Italie ?" questionne un cataphile croisé au hasard. Retour à la réalité pour le petit groupe. Comme quoi, même sous terre, on n'échappe pas au réel. 

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Louis Chahuneau

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